Bloc Bellevue, 1940.

Bloc Bellevue, 13 Mai 1940.

" J'étais agriculteur à Donchery, au bord de la Meuse, fleuve tranquille, large, paisible.

La Paix.

A la guerre, j'ai été incorporé comme artilleur " à côté du 147eme RIF", régiment d'infanterie de forteresse qui tenait le sous-secteur de Sedan-Donchery, 55 eme D.I, général Lafontaine; j'étais en fait dans l'artillerie organique de la 55 eme D.I.

 Et à ce titre j'ai été muté à la casemate d'artillerie équipée d'un canon de 75mm modèle 1897 sise à la Bellevue, et tirant vers l'Ouest, c'est à dire vers Donchery, Nouvion, la Meuse, Lumes; c'était une casemate de flanquement, en béton armé épais, petite meurtrière, approvisionnée à 400 cartouches de 75mm; nous étions une dizaine au service de la pièce; j'aurais pu être muté à la petite casemate d'infanterie du P.N de la voie ferrée sise à l'est de la gare de Sedan! chance pour moi: quand les Allemands de GrossDeutschland- unité d'infanterie d'élite qui a attaqué  sur Sedan- les ont encerclé, dans la fumée, ils ont fait sortir les onze défenseurs, les ont alignés contre le blockhaus et les ont tout de suite fusillés; un seul survivant, blessé, s'est tiré d'affaire; c'est les lois de la guerre d'Hitler et de ses fanatiques!...

 Moi, comme j'étais frontalier, et agé- vers 1910- on m'avait donc mis dans les troupes de couverture, directement mobilisables sur place; de la même façon, l'infanterie du 147 eme RIF était de " sur place"; par exemple, le fils du boucher de Donchery, Sauvage, était tireur au F.M ('ou dans l'équipe F.M); il rentrait dormir chez lui chaque soir, chez ses parents, à Donchery quand il n'était pas de service ou de garde ( en passant...Son grand-père ou son grand oncle avait fait la guerre, la Grande Guerre...en Orient, dans l'Armée d'Orient, au 148 eme R.I, de Givet-Rocroi, et avait participé donc "au camp de Salonique", à la bataille du Sokol et du Dobropolie, le 15 Septembre 1918, qui avait crevé le front austro-germano-bulgare, et il avait participé à la poursuite sur Uskub-Skojplie, en Macédoine...).

Comme nous étions agriculteurs et paysans et que nous aimions notre "confort", un de nous avait amené une vache-pour le lait du matin ! et cette vache avait son enclos derrière la casemate!!! et il y avait aussi un lapin, en cage, qui allait être prochainement mangé...Le confort!...aprés tout. Cela faisait bien sept mois que nous étions là à attendre...

Le 12 Mai, fin d'apés-midi-, les Allemands arrivent à St Menges, et nous sortons de notre confort.

 Le matin du 13 Mai, infanterie et chars attaquent par Donchery et les plaines adjacentes et essaient de passer la Meuse au pont de chemin de fer, cachés derrière la jetée; les F.M, les mitrailleuses et les obus les stoppent. Nous, nous tirons au canon de 75mm sur NOS fermes où sont réfugiés les Allemands qui se sont fait sonner par l'artillerie française; nous, nous tirons à vue sur tout ce qui bouge...

 Ils étaient littéralement cloués au sol, tant les soldats que les chars, du tir au lapin....

L'aprés-midi-alors là!, qu'est ce qu'on a ramassé! une nuée d'avions est arrivée, des avions plein le ciel;  des nuées d'avions! ils lachaient des bombes de tout cotés; une dizaine de bimoteurs sont passés volant bas au dessus du chateau de Bellevue et de l'auberge du Lendit et au dessus de nous, lachant une nuée de bombes certainement de cinquante kilos; puis des avions en piqué sont arrivés; un Stuka, certainement nous a visé et sa bombe, 250 kg peut être, est tombée juste derrière le bloc d'artillerie qui a vibré entièrement et vacillé, plein de poussière, mais sans dommage majeur pour nous onze, mais, sonnés. Et une autre aussi grosse devant nous.

 Puis, littéralement assomés par le blast de l'explosion, nous avons attendu, abasourdis.

 Et tout de suite, dans les minutes suivant l'explosion, HOP, les Allemands! des soldats de GrossDeutscland se pointent à la porte d'entrée de la casemate,située en chicane sur le côté..

Ils nous ont fait sortir, direction la maison du Lendit, et nous ont aligné au mur, avec l'intention de nous fusiller peut-être mais un officier a empeché notre massacre; ils étaient fous, surexcités, fous furieux...et dopés à la Pervitine, certainement, ce que nous avons appris, "pour tenir le coup"; nous, c'était au vin et au lait de vache...

Au passage, nous avons vu le résultat des bombardements aériens: celui dans notre dos, avec une grosse bombe en piqué, visant la casemate, avait fait un trou énorme, à la place de l'enclos de la vache: plus de de vache, volatilisée; quand au lapin, enfoui, il était ressorti des déblais de terre, quand nous sommes allés récupérer nos affaires, autorisés par l'officier allemand...Les soldats-les furieux- étaient repartis vers la Croix Piot et le long de la cuesta vers la Ferme de Moscou ( en prenant des prisonniers français, mis devant eux, et attaquant le petit bloc observatoire et la casemate STG qui est au dessus de la route nationale...Une rafale de F.M 24-29 les a fait fuir...)

Et là, à la maison-auberge du Landit , une fois remis de nos émotions, nous avons vu leur tactique, diabolique:- les bombardiers allemands, tout le long du versant côté Meuse depuis le pont de la voie ferrée et jusqu'à la LPR, ligne principale de résistance, avaient littéralement labouré le terrain; tout le terrain était bouleversé et constellé de cratères de bombes, alors qu'il n'y avait AUCUN ouvrage militaire français sur cette zone de bombardement , sauf la casemate STG sis derrière le chateau, et les deux petits blocs de mitrailleuses de bord de Meuse..

 Les Allemands avaient fait un cheminement de plus un km de long depuis le pont ferré pour arriver à la LPR, c'est à dire à nous, et leur infanterie, en sautant de trou en trou, nous était tombée dessus, et dans le dos ! imparable! calculé au centimètre sur le terrain!: impossible de les attraper ainsi! malins qu'ils étaient , et en plus, en pleine fumée de fumigènes, pendant que les chars en bas, dans la plaine où sont actuellement les anciennes sablières, nous tiraient dessus! Pas mal comme tactique...Et en bombardant si près, ils n'avaient rien cassé au chateau de la Bellevue, chateau où le deux Septembre 1870, Napoléon III et l'armée française prise-coincée à Sedan avaient capitulé! des vitres brisées, c'est tout, à 50 mètres des entonnoirs!

Cinq ans de camp de prisonniers de guerre!...Mais quel art pour la progression; le lieutenant qui commandait la casemate n'en revenait pas.

Aparté: quand il gèle, du parking de l'auberge du Landit, on peut apercevoir, juste au pied de l'auberge et de la clôture les traces des trous de bombes, 50 kg pas plus, tous rebouchés, et en ligne depuis le bois jusqu'à la route et au carrefour. Le carrefour a reçu une bombe de 500 kg?.

Pour la petite histoire l'Aspirant qui commandait le bloc 102, derrière le château Bellevue a été fustigé, conspué,stipendié:" c'est lui, lui seul et à cause de lui, qu'on avait perdu la guerre! Lui seul, pas les autres...

Ajouter un commentaire
 

Créer un site internet avec e-monsite - Signaler un contenu illicite sur ce site